Le Violon d’Einstein by Yann Verdo

Auteur:Yann Verdo [Verdo, Yann]
La langue: fra
Format: epub
Tags: A_Poster, Essai, Littérature Française
ISBN: 9782738145741
Google: Nbx1DwAAQBAJ
Éditeur: Odile Jacob
Publié: 2018-10-16T22:00:00+00:00

Happy birthday, Professor !

Nous qui n’avons pas besoin de la machine de Wells pour voyager dans le temps, transportons-nous par la pensée quelque trois ans après cette promenade estivale, en mars 1949. Très exactement le 19 mars 1949, qui était un samedi. Cinq jours plus tôt, Albert Einstein a eu 70 ans.

On peut nourrir de sérieux doutes quant à la réalité du passage du temps et se prêter néanmoins à cette coutume consistant à fêter son anniversaire, en famille ou avec quelques amis. C’est ce que fit Einstein ce samedi 19 mars, jour fixé par ses collègues de l’Institut pour la petite cérémonie organisée en son honneur.

Une photo de groupe a immortalisé cette réception que l’on devine plus compassée que franchement joyeuse. On y voit, serrés autour du célèbre septuagénaire, les physiciens Eugene Wigner, Hermann Weyl, Isidor Rabi et Rudolf Ladenburg, tous chassés de la vieille Europe par Adolf Hitler, ainsi que leur « patron », le directeur de l’Institut, Robert Oppenheimer. Kurt Gödel est là aussi, entre Eugene Wigner et Isidor Rabi, devant Hermann Weyl qui le dépasse d’une tête ; il croise ses mains sur son ventre et s’efforce de sourire comme tout le monde, mais on ne le sent pas très à son aise. Gödel n’était jamais très à son aise en présence d’autres êtres humains. Il craignait beaucoup les microbes et évitait autant que faire se pouvait tout contact physique non strictement nécessaire.

Qui dit fête d’anniversaire dit cadeau d’anniversaire. Bien qu’étranger à la plupart des conventions humaines, Gödel le sait et il n’est pas venu les mains vides. Il est même particulièrement fier, en ce samedi 19 mars 1949, du présent qu’il destine à son grand ami. Et maintenant, cher lecteur, permettez-moi de vous poser la question : quel précieux cadeau Gödel a-t-il fait à Einstein pour ses 70 ans ? Une luxueuse édition des Œuvres complètes (ou prétendues telles) de Gottfried Wilhelm Leibniz ?… Le manuscrit autographe de son propre théorème d’incomplétude ?… Une place au cinéma pour aller voir avec lui Blanche-Neige et les Sept Nains de Disney, son film préféré ?… Eh bien non, rien de tout cela. Son cadeau a quelque chose à voir avec les voyages dans le temps – mais ce n’est pas une machine.

Il s’agit d’un court texte dont le titre peu engageant suffit sans doute à décourager la plupart des lecteurs de H. G. Wells et autres amateurs de science-fiction : « Une remarque sur la relation entre la théorie de la relativité et la philosophie idéaliste ». Ces quelques pages aussi denses que sèches, Gödel y a travaillé d’arrache-pied plusieurs mois durant, allant même jusqu’à annuler ses habituelles vacances estivales au bord de la mer et prévenir ses proches qu’il cesserait d’ouvrir son courrier tant qu’il n’en aurait pas fini. Elles ont pris place dans le volume de la Library of Living Philosophers consacré à Einstein et paru cette même année 1949, ainsi que l’avait souhaité l’excellent Paul Arthur Schilpp, créateur et cheville ouvrière de cette collection.

Travail de commande, donc.

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